L'Interview

Parce que quelqu'un m'intéresse et parce qu'il faut que je lui pose quelques questions...


4. Najda Bourgeois : "Je pense que pour être un bon comédien, il faut être un bon être humain."

©Nicolas Montanari
©Nicolas Montanari

Montreuil, le 2 juin 2016.

 

Passée par le Conservatoire National de Paris, amoureuse de l’esprit de troupe et friande des atours du cinéma, Najda Bourgeois est une actrice incandescente. Endurante et compétitrice, exigeante et malicieuse, n’envisageant pas son métier sans la permanence du rêve ni le tendre foyer qu’est le collectif, Najda Bourgeois répond à mes interrogations.

 

Première question qui cherche la petite bête : l’imaginaire, c’est important pour toi ?

Très ! Pour plein de raisons. Déjà parce que mon père est un ancien baba cool : ça fait vraiment partie de mon éducation de toujours croire en ses rêves, de nourrir ses utopies. Ce sont des choses dont on a toujours beaucoup parlé chez moi. Il y a autre chose : je fais énormément de cauchemars ! Ça occupe une bonne place dans ma vie – cauchemars ou rêves d’ailleurs – je me les rappelle tout le temps. Ça influe donc beaucoup sur mon humeur, j’y vois des signes, un tas de trucs… Je fantasme aussi toujours autant sur les relations que j’entretiens avec les gens, sur ce que pourrait être le monde. On me dit parfois que je vis « dans un monde de Bisounours ». Mais c’est  parce  que j’essaie en permanence de tirer la partie la plus belle de ce que je vois autour de moi.

 

Ça ne t’énerve pas cette réflexion, que tu es un peu « Bisounours » ? C’est sûrement très réducteur…

Non, pas vraiment. Étant donné que ce n’est que cette partie-là que certains connaissent, ça ne me dérange pas outre mesure. Les gens qui me connaissent bien, en revanche, savent pertinemment qu’il y a plus que ça chez moi ! Autre chose concernant ta question initiale : une de mes premières expériences artistiques, c’est Royal de Luxe, la fameuse compagnie de théâtre nantaise. Comme je suis moi-même de Nantes, j’ai pu voir tous leurs spectacles. C’est une compagnie très active dans cette ville, elle parvient à rassembler énormément de monde à chaque fois. C’est un imaginaire complètement barré, ils transforment radicalement notre rapport à la ville. J’ai vu des trucs de fous avec eux : le géant, la p’tite black, la grand-mère – des marionnettes géantes. Mais même avant ces choses-là, que l’on connaît bien en général, ils ont fait plein de spectacles de rue, par exemple sur l’histoire de France ou bien l’histoire de Cléopâtre au cours duquel j’ai pu voir pour la première fois un homme nu, en dehors de mon père ! (Rires) Mon père, en parlant de lui, est quelqu’un de très cinéphile. Mon éducation artistique tient également au fait qu’on parle beaucoup des films que l’on visionne ensemble: c’est un vrai amoureux du cinéma.

 

Raconte-nous comment tu es venue au jeu.

Eh bien, il y a eu, comme je te le disais, Royal de Luxe qui m’a beaucoup marquée. J’ai voulu instantanément faire partie de ce monde… féérique ! Et il y a eu Isabelle Adjani ! C’est une actrice qui me passionne et qui me fascine. Elle joue extrêmement bien les rôles de folle. Comme ma mère travaille dans un hôpital psychiatrique, c’est un sujet qu’on a beaucoup abordé. Voilà vraiment les deux choses qui m’ont donné l’envie de jouer.  L’autre chose, c’est que petite je ne me voyais pas faire tous les jours la même chose, exercer un métier répétitif, être dans un bureau, etc. Je n’avais pas envie, aussi, pleine d’idéal que j’étais, de prendre part à un monde que je trouvais dur. Le jeu me permet, non pas de m’exclure de celui-ci, mais de me « déplacer » de lui en quelque sorte.

 

Tu voulais faire de ta vie un rêve perpétuel ?

Grave !

 

Quelle a été ta formation artistique ?

En fait, j’ai commencé assez tard. Au départ, je souhaitais être journaliste. J’ai fait un master d’histoire à la fac, mais j’ai été très malheureuse là-dedans : au bout d’un moment je voyais bien  que ça ne me plaisait plus. En fait, à Nantes, je faisais déjà du théâtre dans une petite compagnie, La Tribouille. Les acteurs et actrices de cette compagnie y donnaient des cours de jeu, travaillant énormément sur le fantastique et le politique. Je me rappelle qu’avant ça, en sixième, notre professeur de français nous avait demandé de travailler certaines scènes de théâtre. Moi je devais « jouer » la bonne, Toinette, dans Le Malade imaginaire, notamment la scène 2 où elle s’engueule avec Argan… Je m’étais éclatée, vraiment ! On avait dit à mes parents d’ailleurs que je devais absolument me mettre au théâtre. Ceux-ci m’ont donc inscrite au cours de théâtre. Mais j’en faisais vraiment comme ça, pour le plaisir, une heure et demi par semaine à peu près ; je faisais aussi pas mal de sport, du basket. Il faut dire qu’avec cette compagnie, La Tribouille, on a beaucoup voyagé en Europe : au Pays-Bas, par exemple, j’avais dû apprendre mon rôle entièrement en néerlandais. J’ai tout de suite adoré l’esprit de troupe et de tournée, ainsi que je l’avais déjà éprouvé avec le basket où je jouais à un bon niveau. Après ma fac d’histoire, je me suis donc lancée et suis partie à Paris. J’ai commencé par une petite formation à l’École de Théâtre de Paris, dirigée par Colette Louvois. Ensuite je suis allée au conservatoire du 14ème où j’ai rencontré tous mes amis du collectif Les Enfants Perdus, puis à l’ESAD (NDLA : École Supérieure d’Art Dramatique – Paris) et enfin au Conservatoire Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD).

 

Qu’as-tu justement appris de fondamental sur toi et sur ton métier lors de ton passage au CNSAD ?

J’ai appris plein de choses artistiques mais j’ai surtout beaucoup appris « le milieu ». J’ai mis les pieds dans quelque chose de très concret, je sortais de mon rêve initial en quelque sorte ! J’ai appris aussi à être indépendante dans le travail : on est assez solitaires au Conservatoire, cela étant dû au fonctionnement même de l’enseignement. On est distribués par classes d’interprétation, mélangés avec d’autres années (NDLA : le cursus s’y fait en trois ans), on a plein de cours disparates… Du coup, tu ne rencontres pas vraiment ta promo. Au début, donc, je me sentais un peu seule, mais dès la deuxième année, c’est allé de mieux en mieux. Cela permet à la fois d’apprendre à travailler seul, d’avoir cette exigence-là, et puis la compétition !

 

Ça a à voir avec de la concurrence entre acteurs et actrices ?

Non, moi j’aime, c’est vrai, la compétition au sens où tu essaies sans cesse de te dépasser, mais pas contre les autres. Alors, évidemment, dans ce métier, il y a tellement peu de places qu’il faut être combattive ! Le CNSAD, je l’ai tenté trois fois ! Je l’ai eu enfin en 2010, j’avais 25 ans. Au bout de ces trois ans, j’avais acquis une certaine maturité, et une conscience plus aigue de certaines choses : que personne ne t’attend, que personne ne va te pousser à faire ça car il n’y a pas 15000 places ! Ces échecs, par deux fois, et ces tentatives m’ont permis d’avoir foi en mon rêve ! Et même quand tu parviens enfin à rentrer dans cette école, ce sont uniquement ta conviction et ton désir qui te feront aller plus loin.

 

Ce « désir » n’a t-il pas été dégradé à un moment ?

Non, jamais. La confiance, oui, je la perds quelquefois, ça m’arrive. La conviction profonde, non, jamais. Je pense aussi à quelque chose de fort qui s’est passé dans cette école : on y côtoie des gens qui sont nos maîtres ou que tu trouves très forts. Par exemple, j’ai eu Gérard Desarthe, qui est un monstre d’acteur ; moi-même avant d’entrer à l’école, j’étais déjà très admirative de cet homme. Le fait de les avoir comme professeurs te permet de les rendre plus « vivants », ça m’a appris à me dire que ce sont des êtres humains comme nous… C’est vrai que ces gens-là, comme Gérard Desarthe ou Christophe Maltot (un acteur d’Olivier Py), je les considérais presque comme des dieux inaccessibles ! J’ai appris à leur contact que justement tout leur talent ne provenait pas d’un génie inné mais du travail. Ces deux « monstres »-là étaient ceci dit bourrés d’une prestance incroyable, peut-être moins accessibles que des gens comme Mario Gonzalez et Christophe Patty, pour le masque, qui ont tout autant cette aura incroyable. C’est une question de personnalité aussi.

 

Quelle comédienne es-tu ? Dans le travail, en équipe…

Dans le travail, j’ai un truc très instinctif où j’adore essayer une direction qu’on me propose sans trop poser de questions ; après tout, tu participes d’un effort collectif vers la création de quelque chose. Tu y vas à fond et puis tu vois si organiquement ça crée quelque chose, si tu es juste. Mais il y a, d’autre part, une partie de moi qui relève de l’acteur-créateur, qui procède d’une envie de faire par soi-même. J’ai toujours quelque chose à dire sur mon personnage. Dans la vie, je suis quelqu’un de très joyeux, mais je ne suis pas très légère… Je suis très engagée dans ce que je fais quand je le fais. En fait ce qui m’importe le plus, c’est raconter une part d’humanité. Des spectacles genre « Mon cul sur le commode », ceux-là qui sont axés uniquement sur le divertissement, ça m’intéresse beaucoup moins…

 

Mais si l’on te propose un rôle dans une comédie de boulevard un peu « pouet pouet », tu seras moins encline à passer l’audition ou dire oui ?

Je pense qu’on ne me le proposera jamais ! Après, attention, j’adore l’humour au théâtre, j’ai déjà joué du Feydeau, ça m’éclate. Et puis on n’est surtout pas tenus de faire tout le temps du théâtre politique. Cependant, ce qui me touche, c’est ça : raconter l’être humain, toutes ses déclinaisons, sa complexité.

 

Je me demande, en t’écoutant, si tu as ce qu’on appelle un « emploi » ?

En fait, j’en ai plusieurs, tous aussi différents les uns que les autres. Moi-même je ne sais pas trop où me caser ! Il n’est pas rare qu’on me fasse jouer des rôles de petite maligne, d’ingénue, de coquine ou d’adolescente. À l’inverse, d’autres me confieront des rôles de femme très forte, très sombre et même des rôles de méchante ! Et certains autres me voient dans un registre flirtant avec une certaine sensualité, voire sexualité… Parce que j’ai une voix grave sûrement, et parce que j’ai fait de la danse, ma manière de me tenir… J’adorerais qu’on me propose des rôles de folle ! Pas les folles timbrées, mais ces gens qui sont décalés, fissurés. Gérard Desarthe m’avait d’ailleurs une fois donné un tel rôle dans Une petite douleur, de Pinter, celui de Flora : c’est une nana très bourgeoise, légère, bavarde mais fracturée… Ah oui, ça me revient : on me met souvent dans des rôles de prostituée ! (Rires) Ce sont tous des personnages loin de ma réalité concrète, c’est de la composition donc c’est assez jouissif !

 

Revenons à cet « esprit d’équipe » auquel tu as goûté très jeune.

L’esprit d’équipe est fondamental. Quand je suis sur scène, je sais que ce qui m’aide vraiment et me galvanise, en plus du public bien sûr, c’est mon partenaire. J’ai une histoire à ce propos. À mon entrée à l’ESAD, des entretiens individuels avec Jean-Claude Cotillard faisaient suite aux auditions. Il nous avait demandé « Si demain on vous donne la direction d’un théâtre, quelle est la première chose que vous faites ? ». Moi, j’étais incapable de répondre artistiquement, notamment parce que j’avais beaucoup d’envies toutes aussi différentes les unes que les autres… J’ai donc dit : « La première chose que je fais, c’est que j’appelle les copains et on voit ce qu’on fait. » Je pense qu’une des choses qui te font le plus grandir en général, et dans ce métier particulièrement, c’est de rencontrer toujours de nouvelles personnes.

 

Tu estimes qu’on avance beaucoup mieux ensemble qu’isolément ? C’est vrai que, pour ma part, j’ai beaucoup plus appris en travaillant collectivement qu’en restant désespérément seul…

Évidemment ! Je pense que si tu fais tout tout seul, tu tournes en rond au bout d’un moment.  Il y en a qui disent qu’ils font tout tout seuls, mais c’est pas vrai ! (Rires) Moi je repense aux projets que j’ai pu tourner en équipe à l’étranger (cf supra) : c’est fou comme ça bouge vachement tes endroits de créativité et d’imaginaire, parce que les autres justement ont chacun une culture et une logique complètement différentes. Je pense que l’idée de collectif s’impose de plus en plus aussi parce qu’on a redonné sa place à l’acteur. Jusque-là le metteur en scène était quand même tout-puissant. Cela dit, c’est encore très compliqué aujourd’hui de faire entendre aux institutions, quand on leur demande de l’argent pour un collectif, que cet argent n’ira pas à un référent mais au groupe entier. Le référent c’est le collectif lui-même.

 

J’ai l’impression – mais peut-être je me trompe – que la recrudescence de collectifs correspond à une époque dominée par la précarité, l’individualisme, le règne des élites…

Oui, à ça mais aussi au fait que maintenant le monde est beaucoup plus ouvert. On échange beaucoup, on peut se mélanger plus, partager nos cultures donc se fédérer devient peut-être plus aisé…

 

Tu as donc un collectif de théâtre, Les Enfants Perdus ?

Oui. Nous sommes huit à la base, mes camarades sont Nicolas Montanari, Mehdi Harad, Louise Hamel, Fanny Bayard, Vincent Varène, Clément Berthonneau et Alexandre de Ganay. On s’est tous rencontrés au conservatoire du 14ème. On travaillait nos scènes ensemble pour préparer nos concours d’entrée aux écoles supérieures donc on se voyait énormément en dehors des heures de cours normales, et aussi pour faire la fête ! On s’est si bien entendus qu’on a décidé de se créer un outil commun, un collectif pour faire des créations plus tard. En effet, on est tous partis à droite et à gauche après le conservatoire et ce collectif nous permettait de maintenir le lien crée pendant ces quelques années. L’idée était que chacun revienne après sa formation, chargé de ce qu’il y avait appris, dans un esprit de partage. L’une est partie par exemple à Lille, l’autre à Bruxelles, à l’ESAD, dans le sud, etc. On a chacun reçu une « culture » différente, fréquenté des maîtres différents.

 

Effectivement, c’est souvent de belles aventures ces collectifs qui naissent à l’école et voient grandir en leur sein une communauté de comédiens-iennes et ami-es.

Oui. On rêvait ensemble à ce que pourrait être le théâtre de demain. Et puis artistiquement, ça prenait.

 

Tu viens, avec quelques autres comédiens et comédiennes, de fonder un collectif qui oriente ses recherches et ses désirs de création vers le cinéma.

Au début, c’était avant tout se rassembler pour essayer. Tourner des scènes face caméra pour nous entraîner, nous entraider, former une communauté plutôt que d’être seul dans un milieu plutôt compliqué. C’était vraiment dans l’esprit d’un musicien qui fait ses gammes. Et puis, comme nous étions tout le temps très heureux de nous retrouver, l’idée est née de tourner des courts-métrages. Ce qui est génial dans ce collectif mais aussi en général, c’est que tu peux compter sur l’esprit de camaraderie, te rebooster par exemple – car c’est un métier qui n’est pas facile tous les jours –  au contact de quelqu’un qui à tel moment travaille plus que toi ou nourrit plus d’enthousiasme que toi par rapport au travail. C’est le principe des vases communicants.

 

Journées de Juin au CNSAD, 2012 - ©G. Desarthe
Journées de Juin au CNSAD, 2012 - ©G. Desarthe

Quelles sont selon toi les difficultés de ton métier qu’il serait nécessaire d’expliquer encore plus à ceux qui conspuent par exemple le régime de l’intermittence ?

L’instabilité permanente…  En même temps, c’est aussi pour ça que j’ai choisi ce métier : savoir à l’avance le détail de ce que je ferai demain ne me convient pas, toutes les choses organisées m’angoissent. Dans ce métier, c’est tout l’opposé : tu ne sais jamais ce que tu feras exactement dans quelques semaines, quelques mois, ça peut être très perturbant même si on s’y habitue. Et c’est donc une chose qui n’est pas du tout adaptée à la société actuelle. Ce qu’il y a d’ardu aussi, c’est que tu es en quelque sorte ton propre entrepreneur. Tu fais tout tout seul : gérer ton emploi du temps, trouver tes partenaires, un rythme, « te vendre », aller trouver l’autre… Il y a tellement de possibilités différentes dans ce métier, radio, TV, théatre, cinéma, qu’il te faut en permanence décider là où tu veux aller. 

 

Certaines personnes n’imaginent pas tout le travail en amont, préparatoire, tout ce qu’on ne voit pas quand on allume la télévision ou que l’on assiste à un spectacle…

Ah ça oui ! Ça arrive que des gens, à la fin d’une représentation, viennent te voir et te disent « Mais tout ce texte que vous avez dû apprendre ! » Comme si c’était la chose la plus compliquée ! Apprendre un texte, selon moi, c’est le truc le plus basique et le plus simple à faire dans ce métier. À moins d’avoir une mémoire déficiente, tout le monde peut le faire. Mais il y a tout ce qu’il y a à côté. Ce qu’il y a de très difficile, je trouve, c’est savoir se renouveler. Un prof, par exemple, peut, s’il le veut, garder le même cours d’une année sur l’autre, sans jamais y toucher… Nous, si on fait ça en tant que comédiens, on est morts ! Il faut perpétuellement se renouveler : c’est donc à la fois épuisant mais aussi très excitant. Et je ne parle pas de la vie de famille, des horaires, des vacances… À chaque fois qu’on me propose de rejoindre un rassemblement familial, je dis oui évidemment, mais avec dans la tête la pensée que peut-être entre-temps on me proposera du boulot, ce qui m’empêchera d’aller voir ma famille… Certains, qui ne sont pas du tout dans le théâtre ou dans le cinéma, ont du mal à comprendre ça. 

 

Oui, ce sont des choses à répéter et répéter, ne pas cesser d’expliciter ces métiers si singuliers pour corriger cette méconnaissance qui parfois s’accompagne de propos réducteurs voire insultants.

Oui, bien sûr. Le fait de ne pas avoir un patron aussi peut être déstabilisant. Avoir un patron, ça rassure sûrement ; là, tu es ton propre chef !

 

Est-ce que, de temps en temps, montent des angoisses ?

Bien sûr, tout le temps ! Mais je m’en débarrasse avec la foi, avec la conviction que j’ai de faire ce métier, il n’y a que ça qui m’apaise. « Je veux faire ça donc je ferai ça, voilà ! » Il faut être têtu ! Un autre moyen de tuer ces angoisses, c’est de me replonger dans une activité artistique, par exemple lire un magnifique texte, écouter une belle musique, aller voir une expo incroyable… Ça t’alimente, quoi ! Ça renforce ton amour pour l’art. Et les voyages aussi ! 

 

Oui, vivre autre chose, « absorber » le monde !

Je pense que pour être un bon comédien, il faut être un bon être humain. Je crois, oui…

 

As-tu des désirs d’explorer autre chose que le jeu ?

Oui, j’aimerais créer mon propre spectacle pour « mon masque ». La réalisation, non. La mise en scène, pas tout de suite. En revanche, la direction d’acteurs me plairait beaucoup.

 

Que trouves-tu au cinéma que tu ne trouves au théâtre ?

Je trouve que ce qu’il y a au théâtre et qui n’existe pas sur un plateau de cinéma, c’est cette sensation d’être une rock-star ! Tu sens la respiration des gens, tu les entends rire… Il n’y a pas longtemps, j’ai participé à un concours de  tragédie au théâtre Silvia Monfort (Paris) devant 400 personnes : je te jure, je les entendais respirer ! C’était dingue ! Au cinéma, je pense aux rapports que tu entretiens avec l’équipe technique, aux axes empruntés par la caméra, les points de vue, les zooms, etc. La première fois que j’ai vu un gros plan de ma tête, je me suis dit « Wow wow wow ! » On rentre un peu plus dans ton intimité. Chaque personne qui est à son poste t’entoure, est avec toi : par exemple, le mec qui est à la prise de son respire en même temps que toi, le type derrière la  caméra, pareil, c’est assez génial d’être dans cette osmose en direct avec une équipe.

 

N’est-ce pas apeurant de n’avoir pas lors du tournage d’une séquence les réactions qu’un public de théâtre saura te donner ?

Là, tu ressens ça mais avec les techniciens. Et puis, ils créent en même temps que toi ! C’est autre chose.

 

À quels univers cinématographiques es-tu réceptive ? Quel-les comédiens-iennes te fascinent ?

L’univers d’Emir Kusturica, ça j’en suis absolument fan ! Je trouve qu’il y a tout dans ses films. Mon préféré, c’est Le temps des gitans. Voilà ce que j’aime au cinéma : le décalage. Un jour, on m’a dit : « Le cinéma filme la réalité. » Ben non, le cinéma est un art comme un autre, il peut transcender la réalité. Je suis également sensible à l’univers de Michael Haneke. Rien à voir avec le précédent ! Mais voilà, ils ont tous les deux une esthétique forte, une empreinte puissante.

Pour les acteurs et actrices, Isabelle Adjani, donc, et Jodie Foster. Elle est tellement délicate dans son jeu, c’est de la dentelle. J’adore aussi Joaquin Phoenix. Et Al Pacino, quoi !

 

Être une femme, dans le théâtre ou dans le cinéma, s’accompagne-t-il de difficultés particulières ? Estimes-tu qu’il y existe encore des disparités, des inégalités ?

Je n’aime pas dire qu’être une femme dans ce métier-là donne plus de difficultés que d’être un homme. Je pense que pour ce dernier, il existe d’autres difficultés. Je n’aime pas trop comparer. Au théâtre, il est vrai qu’on est plus nombreuses. Dans les écoles de théâtre, il y a des quotas en vigueur : on prend 15 filles, 15 garçons, alors que deux fois plus de filles se présentent… Première difficulté ! La deuxième, c’est que, comme beaucoup de pièces ont été écrites par des hommes, il y a beaucoup plus de rôles masculins que féminins. Mais ça commence quand même à changer ! Le dernier truc, c’est l’enjeu de séduction : il existe tout le temps des rapports de séduction, c’est chiant ! Persiste cette espèce de fantasme porté sur l’actrice. 

 

La « comédienne-femme libre » est un cliché sexiste qui résiste !

Oui, et puis il faut absolument qu’il y ait un degré de sexualité assumé, ou pas du tout pour faire le rôle de la petite ingénue… En première année du Conservatoire, Mr D. (NDLA : question d’anonymat !) me disait « Là, fais la femme-enfant… Là, fais la femme fatale… » Comme si tu ne pouvais pas être les deux en même temps ! Et puis en plus ce sont des termes hyper bateaux : que veut dire « faire la femme fatale » ? Il y a quinze mille manières d’être une femme fatale ! L’homme aussi n’est pas en reste : « Fais-nous le petit puceau. » ou « Fais le latin-lover. » Dans le cinéma, pour avoir eu une expérience malheureuse, il y a encore des mecs qui te donnent un rôle si tu couches avec eux ou qui t’en donnent si tu fais croire que tu veux bien coucher avec eux… Une fois, une assistante de casting m’a dit au téléphone « Mais Najda, tu te rends pas compte mais il y a beaucoup de comédiennes qui viennent aux castings sans culotte. » Et puis elle a ajouté « Mais ça fonctionne comme ça le cinéma, ma chérie. » Voilà ! Moi, j’ai été choquée, en plus elle avait mon âge. Il y a quand même encore beaucoup de boulot ! Et le physique : un acteur, on s’en fout s’il ne correspond pas aux canons de beauté, du moment qu’il a « une gueule » ; c’est vrai aussi pour les actrices, mais elles sont beaucoup plus soumises aux stéréotypes de la beauté.

 

Quelle(s) réplique(s) ne te quitte(nt) pas ? Au sens double du terme.

Celle de Phèdre où elle parle de son désir et de l’amour : « Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée : / C'est Vénus toute entière à sa proie attachée. » (NDLA : Phèdre, Racine, 1677, acte 1, sc. 3) Dans On ne badine pas avec l’amour, de Musset, je suis attachée à beaucoup de répliques telles que « Tous les jours il en meurt dans nos dortoirs, et tous les jours il en vient de nouvelles prendre la place des mortes sur les matelas de crin. » et « Vous faites votre métier de jeune homme et vous souriez quand on vous parle de femmes désolées ; vous ne croyez pas qu'on puisse mourir d'amour, vous qui vivez et qui avez aimé. Qu'est-ce donc que le monde ? » (On ne badine pas avec l’amour, A. de Musset, 1834, acte 2, sc. 5) Il y en a une qui me fait rire, c’est celle de De Niro dans Raging bull  (Martin Scorsese, 1980) : « You fuck my wife ? » Et la réplique dont je voudrais me débarrasser c’est « Je suis une mouette. » (Nina dans La Mouette, Tchekhov, 1896, acte 4) Parce qu'elle est trop utilisée ; énormément d'artistes en font la référence comme si ça rendait leur œuvre plus intelligente. Le fait de l'entendre ou de la lire très souvent fait que cette phrase perd de son mystère et de sa force à mon sens.... 

 

Qu’est-ce que tu fais demain ?

Demain… Quel jour on est demain ? Vendredi ? Demain, je fais ma séance de sport. Le soir, je vais à une soirée cumbia et je revois mon chéri qui est parti depuis quinze jours. J’ai aussi plein de papiers à remplir pour le travail…

 

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Liens :

Fugue en Ré mineur, court-métrage de Sébastien Marqué, 2008

Site de son agence artistique, En Tête

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Prochaine interviewée : Juliette Savary, comédienne.


3. Agathe Watremez : "Vouloir apprendre et apprendre encore."

©Emma Marion
©Emma Marion

 Fontenay-sous-Bois, le 15 mai 2016.

 

Jeune comédienne, passée d’abord par le théâtre et la région lyonnaise, Agathe Watremez est tombée amoureuse du cinéma il y a longtemps. C’est avec une pétillance toute naturelle et une rigueur de travail intacte qu’elle s’y fraye peu à peu un chemin, non sans difficultés ou impatience, mais avec toujours une faim de loup. Entre route solitaire dans l’infernale Paris, entretien du « réseautage », composition avec le quotidien et projets en collectif, Agathe Watremez répond à mes interrogations.

 

 

Ma première question cherche la petite bête : doit-on te dire comédienne ou actrice ?

Naturellement, je me présente en tant que comédienne. À mon sens, il n’y a pas de différence, ou alors elle est très subtile. Ceci dit, étrangement, j’oserais moins dire le terme « actrice », je ne sais pas pourquoi. Ma sensation est que ce mot évoque une sorte de piédestal… « Comédienne » me paraîtrait peut-être un peu plus noble. Évidemment, au final, les deux mots se valent mais voilà, je me porte plus facilement vers celui de « comédienne »…

 

Raconte-nous ta venue au jeu.

Il faut commencer par dire que j’ai débuté dans des pratiques artistiques très tôt, à l’âge de cinq ans. À l’époque, ma mère a voulu me faire faire du piano ; elle m’en avait parlé, moi je ne m’y étais pas opposée, je me suis dit « oui, j’ai envie de faire d’un instrument de musique », donc voilà… J’avais une professeure de piano rien que pour moi, à la maison, pendant un an. Avec elle, je me suis préparée à l’examen d’entrée du conservatoire de Romans. Eh oui, il y avait un examen même pour les enfants ! Je l’ai réussi. Je ne sais plus ce que je jouais, je n’en ai pas vraiment de souvenirs précis mais, apparemment, ça s’est bien passé ! Ensuite, en parallèle du conservatoire, j’ai fait de la danse avec une femme qui s’appelle Anne-Marie Gunzt. C’était une prof très rigide certes, mais qui nous faisait vraiment bien travailler. Je me souviens par exemple que lorsque nous faisions de grands pliés, elle nous mettait de petites claques sur les fesses pour qu’on les rentre ! Moi, je me regardais dans le miroir et j’avais les larmes qui me montaient aux yeux et pourtant je me disais « ne pleure pas, ne pleure pas ». Dans le même temps, j’avais commencé des cours de chants… J’étais très occupée comme petite fille ! Mais tout cela était très sérieux, très rigoureux, j’y allais trois, quatre fois par semaine. Il y avait des règles et des horaires à respecter au conservatoire, l’année était ponctuée d’examens, etc. Toutefois, j’étais super contente de faire tout ça, ça ne me dérangeait pas ; j’étais très disciplinée, je savais ce que je voulais faire. Donc, tout ça – chant, danse, piano – jusqu’à l’âge de douze ans. Ça m’a installée très rapidement dans une ambiance artistique assez intense, j’ai découvert beaucoup de choses, dont le fait d’être « en représentation » : je faisais des stages de piano à Courchevel, des concerts en plein air, des tours de chant dans ma petite ville… Bref, j’étais très prise !

 

Et tu es venue au théâtre tout naturellement ? Était-ce par goût du spectacle ?

Oui, en quelque sorte. Vers l’âge de quatorze, quinze ans, j’étais encore dans une recherche avide d’autres choses, toujours dans le domaine artistique. Je me suis dit « pourquoi pas le théâtre ? » Néanmoins, ça n’a pas été une chose innée, je ne me suis pas dit directement « je veux être comédienne ». Mes pratiques, que j’ai évoquées juste avant, ont forgé mon goût du jeu, d’être sur scène, et m’ont aisément conduite à aimer le théâtre. J’ai commencé dans une MJC de Romans avec Bernadette Dabert. C’était une professeure géniale. Elle était adorable, généreuse et très sincère avec nous, à fond dans ce qu’elle faisait. Elle avait aussi un physique très atypique ! Hyper grande, un visage très marqué, de longs cheveux, de grands yeux noirs qui donnaient de la puissance à son regard, une voix grave… C’est elle qui m’a encouragée ensuite à passer le concours d’entrée à l’école Arts En Scène.

 

Qu’est-ce que c’est Arts En Scène ?

C’est une école privée de théâtre, basée à Lyon, dans le 7ème arrondissement, dirigée par Éric Zobel. Elle a pour but de former des comédiens professionnels. Ça dure deux ans.  Mon avis, c’est que c’est une école qui donne avant tout des bases, des envies mais qui ne forme pas entièrement le comédien, la comédienne… Non, on se forme après surtout, avec tous les chemins qu’on emprunte. En fait, je suis rentrée dans cette école après avoir fait une fac d’espagnol ; après un an passé au Mexique et l’université, ça ne me plaisait plus du tout, j’en avais marre, je sentais que ce n’était finalement pas la bonne voie. Arts En Scène, c’était la seule école que je tentais à l’époque, donc c’était quitte ou double.

 

Qu’y as-tu appris sur toi ?

Ce que j’y ai appris sur moi… C’est que j’étais capable de création, et non plus seulement d’interprétation ; des  choses qui provenaient de moi seule. J’étais dans un autre rapport avec cet art, différent vraiment de ceux que j’avais pratiqués jusque là. Avant j’étais toujours dirigée par quelqu’un, à l’écoute et au service de la créativité d’autrui ; or dans cette école, on me demandait autre chose. La première année a donc été assez difficile parce que j’étais encore avec des blocages. Les autres formes m’avaient peut-être trop, justement, « formée »… À partir de la deuxième année, ça a commencé à se débloquer : je sur-jouais moins, j’étais moins expansive, je commençais à trouver un peu de finesse.

 

Une bonne comédienne, pour toi, se doit d’avoir une bonne dose de créativité, d’user de son intellect ?

Ah oui ! Après, on a toujours besoin d’un œil extérieur, quelqu’un qui puisse recadrer, interroger. En ce qui me concerne, je me sens maintenant plus capable de proposer et d’inventer. Mais plus on fait, plus on acquiert certains automatismes. Je trouve que, pour aborder un texte, une scène, le chemin le plus intéressant est celui qui prendra le plus de temps, qui permettra de réfléchir, essayer, développer des idées. Se mettre de telles contraintes dans une création peut donner de belles choses, je pense.

 

Tu penses qu’il faut nécessairement souffrir pour créer ?

Façon de parler, oui ! Ça me fait penser à une anecdote d’ailleurs : j’étais avec mon père dans le jardin, il était en train de regarder une glycine. Puis il l’a tordue et a dit : « Les jolies plantes, c’est comme les gens : il faut qu’elles souffrent pour qu’elles soient belles et intéressantes. » Alors bien sûr, il faut faire les choses avec une dose de légèreté. Évidemment ! Si tu veux arriver à tes fins dans ton jeu,  je pense qu’il faut être prête à passer par des étapes compliquées.

 

Tu es très exigeante envers toi-même !

(Rires) Oui ! Mais c’est un moteur ; ça a à voir aussi beaucoup avec mon parcours lors de ma jeunesse. En règle générale, plus c’est difficile, plus ça me motive. Je vais moins aisément dans la facilité. Ce n’est pas une méthode personnelle, c’est juste ma manière de faire. Par exemple, je sais très bien que si un réalisateur n’est pas très exigeant, ou avec peu de réflexion sur le travail d’ensemble, ça m’intéressera moins.

 

Quel cinéma regardais-tu étant plus jeune ?

C’est mon père qui m’a montré très tôt pas mal de films. Et des trucs même assez calés pour l’âge que j’avais, mais c’était avant tout pour leur beauté… C’était par exemple les films de Chaplin ; on avait la collection complète en cassettes, je me souviens, je n'avais qu'à piocher dedans. Les Oiseaux, de Hitchcock, Dracula de Coppola, La Belle et la Bête de Cocteau, certains Kubrick (notamment L'Odyssée de l'espace), les Lynch, notamment, Mulholland Drive et Blue velvet. J’ai un souvenir toujours particulier des films populaires d'Yves Robert : Le château de ma mère et La gloire de mon père. J'adorais l'ambiance et la BO signée Vladimir Cosma. Ce sont des musiques que j'aime beaucoup et qui me restent en tête des années après. Ali Baba et les quarante voleurs avec Fernandel de Jean Becker, Les Spielberg bien sûr et aussi les premiers Tim Burton, dont Edward aux mains d'argent. C'est mon père qui m'a aussi donné le goût des films de SF et d'anticipation.

 

Et donc, pourquoi te tourner vers le cinéma ?

Eh bien, d’abord, je crois, parce que j’avais cette espèce de fascination pour tout cet univers-là. Et aussi parce que j’avais envie de me confronter à une autre façon de faire, essayer un jeu plus intériorisé. Je me sens étrangement plus à l’aise devant une caméra, parce que j’ai l’impression que ça me ramène à quelque chose de plus dense et intime. Il y a une foule de petits détails qu’on peut montrer à la caméra.

 

Qu’as-tu fait récemment ?

J’ai passé des castings pour de la publicité (NDLA : par le biais de l’agence Happy). J’ai rencontré de jeunes réalisateurs encore à l’école ou à leur sortie. J’ai récemment tourné dans un court-métrage, Dar, réalisée par Anne Cissé. L’équipe était hyper bien. Les acteurs et actrices avec qui je jouais, qui ont à peu près mon âge, étaient vraiment très bons. J’étais fière de jouer à leur côté. C’est un film qui est produit par le G.R.E.C. (NDLA : Groupe de Recherche et d’Essais Cinématographiques), qui va sortir sous peu. Dar, c’est une chronique adolescente, des histoires entre jeunes. L’action se déroule en banlieue parisienne, sur une période d’un an. Moi je joue dedans le rôle de Nadège, une jeune fille qui s’est fait lâchée par son mec pour une autre. Le rôle est joué par Walid Ben Mabrouk. Finalement, elle tombe amoureuse d’un autre de la bande, Gary, joué par Alexis Baginama. Je peux te dire les autres aussi : il y avait Fanta Touré, Phénix Brossard, Asja Nadjar, Chloé Lecerf, Inès Hammache, Mélanie Aguilar, Sophia Nacer. Voilà, tourner avec des comédiens aguerris, ça grandit. Travailler avec des gens comme eux, ça permet de remplir sa « petite valise » ! J’ai aussi travaillé pour d’autres jeunes réalisateurs comme Jim Schachmes, Grégoire Pascual-Martin, Lionel Nakache…

 

Ce métier est effectivement passionnant mais source d’incertitudes, de difficultés…

Oui, ça c’est sûr ! Mais voilà, pour me donner du courage, je me dis peut-être bêtement que je ne sais faire que ça. En tout cas, je ne me vois pas faire autre chose.

 

Comment es-tu en tournage ?

Comme je le disais avant. Je reste très à l’écoute du réalisateur et exigeante envers moi-même et les autres, peut-être trop, je ne sais pas. Je pense néanmoins que c’est pareil pour tout le monde : chacun attend de son partenaire qu’il soit au même niveau de sérieux, d’être avec les autres. Et de regarder les autres jouer. Au théâtre comme au cinéma, en répétition ou quand ça tourne, c’est important, et enrichissant, de regarder les autres jouer… Je suis en tournage comme dans la vie : j’ai envie d’y arriver, de persister, donc j’ai la rage ! (Rires) Bien que j’en sois à mes débuts de cinéma, je ne prends pas ça comme une super occupation, non, je m’y donne à fond. Et puis, ce n’est jamais, à la base, une décision facile de se dire qu’on veut être artiste, on renonce à pas mal de choses pour ça.

 

D’après toi, quelles sont tes qualités de comédienne, dans le travail ?

Je pense que je suis quelqu’un de très sérieuse dans le travail, qui s’investit toujours à fond, qui aime travailler en équipe, avec tous les métiers que ça suppose. J’aime être avec  les gens. Je suis aussi tenace, oui. Et j’accepte de me tromper. Je pense pouvoir m’adapter aux différentes demandes, même si c’est compliqué, je suis capable de travailler vite et bien, je crois.

 

Tu as l’impression qu’être une femme dans ce métier ajoute une difficulté ?

Ah mais totalement ! Je le vois bien : quand je dis à certains mon âge (26 ans), j’ai une variété de réactions genre « ah ouais, d’accord, t’as déjà vingt-six ans ! » ou « ça craint » ou encore « mais t’as de la chance, tu fais plus jeune que ton âge. »  

 

Ça ce sont des choses qu’on dira moins à un homme ? Il y a du machisme là-dedans, non ?

Oui. J’ai l’impression qu’on dira par exemple d’un comédien qu’il se bonifie quand il prend de l’âge, et à une comédienne qu’elle vieillit…Le cinéma est un métier qui joue sur ou avec ton image, on ne peut rien y faire. Je ne connais pas tout, hein, je ne suis qu’au départ du parcours mais je me dis que j’ai l’âge que j’ai, et si certains ne veulent pas travailler avec moi, ils ne travailleront pas avec moi, point barre ! Jusqu’à présent, on m’a toujours proposé des rôles de jeunes femmes de vingt ans. On ne m’a jamais proposé de jouer mon âge.

 

À quoi ressemble ton emploi, si tant est que tu l’aies identifié ?

On me demande souvent de jouer des jeunes femmes, ou ados, assez froides, assez fermées, parfois torturées ou un peu hautaines. Maintenant, je commence à l’accepter cet emploi, je me suis résolue à me dire que, oui, je devais renvoyer ça.

 

 

Quel-les acteurs-actrices aimes-tu ?

Chez les acteurs, dans le désordre, il y a Dicaprio, qui pour moi est la perfection incarnée, une figure iconique ; mais aussi Philipe Nahon, Reda Kateb, Denis Lavant, Nicolas Duvauchelle, Jack Nicholson. J’adore Robin Williams dont j’ai vu récemment le dernier film dans lequel il a tourné, Boulevard (NDLA : réal. Dito Montiel)… Sinon, Frederick Lau, Vincent Cassel, Johnny Deep, et d'autres ! Les actrices que j’aime : Julia Roberts m’a toujours faite rêver, surtout quand j’étais petite. Elle était tellement naturelle, avec un sourire de malade, hyper agréable à regarder… Et Audrey Tautou, Anaïs Demoustier, Adèle Haenel, Ana Karina, Juliette Binoche, Kate Winslet, Emma Stone. J’ai toujours trouvé magnifiques les actrices des années 50 comme Sophia Loren, Elizabeth Taylor, Ava Gardner, Marlene Dietrich.   

 

À quels univers cinématographiques es-tu sensible, en tant que spectatrice et comédienne ?

Je suis plus sensible aux films dits naturalistes, où l’on me raconte une histoire du quotidien, avec des personnages que nous pourrions rencontrer au coin de la rue, des anonymes. On pourrait se dire, au premier abord, que la quotidienneté n’est pas intéressante, qu’il ne se passe rien dans ces histoires. Et pourtant il se passe un millier de choses !

 

Tu as l’impression qu’il y a plus de choses à jouer pour ces rôles-là ?

Oui, ces gens-là sont tellement traversés par plein de trucs dans la vie. Pour Dar, par exemple, je faisais bien attention quand même à ne pas tomber dans le cliché de la petite meuf de cité, à lui donner de la consistance, une singularité. Car souvent, ces rôles-là sont au bord du sur-jeu, de la caricature. Dans L’esquive, tiens, de Kechiche, c’est fait avec finesse, je trouve. J’aime jouer, ou regarder, des personnages qui n’ont pas juste un seul sens, une seule chose à montrer, mais avec une ambivalence, des trucs en dessous, un fond. Des personnages qui ne sont pas à sens unique, où tel sentiment est double, triple, etc. C’est toujours beau de pouvoir lire dans les yeux d’un personnage, ou dans une attitude, des sentiments qui se mélangent.

 

Ton premier casting ?

C’était pour une pub. Je suis arrivée dans une salle où le fond était blanc. J’étais seule face à un mec vraiment pas sympa, avec quatre projecteurs dans la figure et deux caméras sur moi. Celui qui castait n’a pas été sympa du tout. J’avais simplement une phrase à dire, je ne sais plus quoi. Je me souviens qu’il m’a dit ensuite « bon, là, tu oublies tout ce que tu as appris dans ton école de théâtre pourrie ! »

 

Se permettre ce genre de jugement, c’est fou…

Ils ne sont pas tous comme ça ! Il y en a qui sont très gentils avec toi… C’est très aléatoire. Je peux comprendre qu’ils n’aient pas le temps à chaque fois mais bon. Moi, pour les castings, en général, je ne me mets pas la pression. Si le type est méchant ou me parle mal, je me dis que c’est un couillon et qu’il le restera, pas besoin de se formaliser ! Tant qu’il ne me manque pas de respect et ne m’insulte pas… Des responsables de casting sont très agréables, ils prennent le temps de travailler, sont bienveillants.

 

Qu’est-ce qui te semble être le plus dur à jouer ?

Je pense que c’est faire rire… L’humour étant propre à chacun, c’est très difficile d’avoir le rire de la majorité. Tu as beau te trouver hyper drôle, l’autre en face ne rigolera peut-être pas une seule fois ! Je ne sais pas à quoi ça tient vraiment, faire rire les gens, le rythme peut-être… Il y a des acteurs aussi qui, naturellement font rire, qui ont un physique, quelque chose de directement comique. Tu regardes Fernandel, Louis de Funès… Ou Pierre Niney aujourd’hui : au niveau du rythme, il est très bon. Il a un physique un peu dégingandé et n’a jamais l’air de se forcer pour faire rire. On peut tous être touchés par des larmes, mais l’humour c’est propre à chacun, plus personnel.

 

Un souvenir marquant de film ?

Oui. C’est dans La Belle et la Bête de Jean Cocteau.  La Belle arrive dans le château de la Bête. Elle s’engouffre dans un couloir très sombre où des mains tenant chacune un chandelier surgissent des murs. Les chandeliers s’allument peu à peu. La Belle arrive ensuite dans un  salon où il y a une grande cheminée ; dans celle-ci sont encastrées des têtes. Le silence est absolu tout le long. Quand j’étais petite et que je regardais cette scène, j’étais entre la peur et la fascination. Je trouvais tout ça hyper beau. Dans Les Oiseaux, de Hitchcock, je me rappelle cette scène silencieuse où on voit simplement des corbeaux posés sur un jeu d’enfant, dans un parc…

 

Encore le silence ! Est-ce facile à jouer, ça ?

En fait, je pense qu’il faut que le silence soit habité, parce que si tu joues juste du silence pour du silence… Bien sûr, pour ma part, ça peut me mettre de temps de temps mal à l’aise de ne rien avoir à dire mais je travaille le silence, j’essaie d’y mettre quelque chose, de le remplir d’autre chose que de mots… J’aime bien ces scènes au cinéma où tu crois qu’il ne se passe rien parce qu’on ne dit rien, mais en fait il s’y passe plein de trucs !

 

Quel est le dernier film que tu as vu ?

C’est Remember (NDLA : réal. Atom Egoyan, avec Christopher Plummer, Martin Landau, Bruno Ganz - 2016). Ça raconte l’histoire d’un vieil homme qui est en maison de retraite et qui part à travers les États-Unis, missionné par un camarade pour venger l’extermination de sa famille par le régime nazi dans les camps de concentration. Les acteurs sont super.

 

Parlons de réseau, et de ce mot assez disgracieux « réseautage ». Est-ce essentiel pour ton métier ?

Ah bien sûr ! Ne pas être seule, sortir, voir du monde, oui. Au début, c’est toujours intimidant d’aller vers l’autre, de se présenter, parler de soi, mais il faut le faire, c’est nécessaire. Le collectif c’est aussi très important, se réunir pour être plus forts, moins isolés. Depuis peu de temps, par exemple, j’ai intégré un collectif, un groupe d’acteurs, d’actrices, d’auteurs qui veulent ou font déjà du cinéma. On s’exerce régulièrement devant la caméra, on ne se met pas de pression. Les gens sont très bien, très bienveillants, pour la plupart ils sont issus du CNSAD (NDLA : Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, à Paris). On aimerait, à terme, peut-être monter un collectif, lui donner un caractère officiel, tourner des courts-métrages… Il y a tout à faire ! À plusieurs, on se soutient. Vu que dans notre métier j’ai l’impression qu’on peut être pas mal de fois tout seuls, ça fait du bien de se dire qu’on peut compter les uns sur  les autres. Former un tel groupe, du coup, est pour moi très chouette. On échange, on partage sans esprit de concurrence.

 

Être en collectif, ça motive ?

Oui, et ça peut rebooster. C’est quand même super d’être avec des gens aussi différents les uns que les autres et d’apprendre d’eux.

 

Et de pratiquer régulièrement, non ? Dans ce métier, on peut attendre quelques temps avant de tourner.

C’est certain que si tu ne vois personne, si tu laisses passer le temps sans tourner, sans t’exercer, ça crée de la frustration. Là, on reste alertes, on s’entraîne, on se sollicite sans cesse.

 

Comment réagis-tu à la critique ?

Moi j’aime qu’on me dise les choses directement, sans prendre de pincettes. Ce n’est pas une question de perfectionnisme, c’est juste qu’il vaut mieux ne pas y aller par quatre chemins pour te permettre de progresser. Dans ce métier, tu te dois d’être en recherche permanente du mieux, du meilleur, et d’être toujours en demande de la nouveauté, de vouloir apprendre et apprendre encore. Ça, la recherche, ça ne s’arrête jamais, je crois.

 

Tu penses qu’on progresse mieux ou plus vite quand on se fédère ?

Ça fait juste du bien aussi d’être ensemble. Et je suis sûre que ces personnes-là vont m’apporter plein de choses que je ne connais pas, et des choses de moi à eux.

 

Quelle réplique ne te quitte pas ? Au sens double du terme.

Il y en a deux. Pour la première, j’avais douze ans quand je l’ai entendue dans Wasabi (NDLA : réal. Gérard Krawczyk, 2001) C’est Carole Bouquet qui disait à Jean Reno, sur le pas de la porte : « Je vais rentrer à pieds, ça me fera du bien. L'air est doux, ça sera parfait pour terminer cette merveilleuse soirée." Je ne sais pas, je trouve à ce moment-là qu’elle a une manière de dire ça si fine et jolie dans sa bouche. Cette réplique m’est toujours restée en tête ! Déjà, Carole Bouquet a une telle classe, et puis elle le dit d’une manière si délicate. Et la réplique dont je voudrais me débarrasser, c’est dans Titanic ! (Rires) « Je suis le roi du monde ! »

 

Qu’est-ce que tu fais demain ?

Demain, je vais pouvoir faire une grasse mâtinée pour une fois. Après, je rejoins les acteurs et actrices du collectif de cinéma avec qui on a commencé ce travail qui me met en joie.

 

 Les réalisateurs qu’elle affectionne : Gaspard Noé, Abdellatif Kechiche, Quentin Tarantino,Céline Sciamma,Xavier Dolan, André Téchiné, Larry Clark, Gus Van Sant, François Ozon, Carax, Innaritu, et plus récemment : Sébastien Schipper et Léa Fehner.

 

 

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Site professionnel : agathewatremez.com

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Prochaine interviewée : Najda Bourgeois, comédienne.


2. Romain Tiriakian/Sebastian Melmoth : « L’inspiration est un animal sauvage. »

Montreuil, le 21 avril 2016.

 

Musicien autant qu’esthète, vêtu de noir et de blanc, lunettes aux verres légèrement fumés sur le nez, Romain Tiriakian alias Sebastian Melmoth compose, chante et joue les mille et mille couleurs de l’humain. Fondateur du groupe Phanttom où se frottent glam rock, pop langoureuse et chanson française, collaborateur régulier de projets théâtraux où sa musique fait entendre autre chose que ce que les mots disent – et alors que, à peine notre entretien commencé, nous apprenons la mort de Prince – c’est avec une sémillance toute naturelle que Romain Tiriakian alias Sebastian Melmoth répond à mes interrogations.

 

Nous venons tous les deux d’apprendre le décès de Prince…

C’est triste… Triste, oui, ça commence à bien faire tout de même ! Bowie, Lemmy… Et on en oublie, hein. Prince était un avatar à lui tout seul. Dans toutes les catégories, il était bon. C’était un personnage de jeux de rôles, il avait tout monté à fond !  J’ai un souvenir particulier de son concert au Grand Palais (NDLA : le 11 octobre 2009). Purple Rain sous la grande coupole du Grand Palais avec la pluie qui commence à tomber au moment où il entame la chanson… C’est un truc qui ne s’invente pas, tu vois ! Tu es un dieu de la musique ou tu ne l’es pas !

 

Oui, ce n’est pas quelque chose qui s’invente comme ça, quand bien même on serait comme lui multi-instrumentiste, compositeur…

Non, c’est sûr, il faut avoir la grâce. Quoiqu’il faisait, ça groovait. Même des morceaux plus récents comme No more candy for you. S’il avait pu mourir après les autres ! Il a été pour moi une inspiration autant musicale que scénique : le voir sur scène avec tous ses musiciens qui sont à blinde et qui sont eux-mêmes des brutes épaisses. Quand tu t’appelles Prince, tu peux te permettre de faire un « casting » de killer ! Il avait ce côté très romantique, très XIXème dans tout, dont sa manière, oui, de se fringuer. C’est un dandy. Il s’est confectionné un « masque » auquel je suis très sensible. C’était le mégalo du bien, tu vois. Dans le bon sens : c’était un mégalomane qui prête à rêver… C’est très inspirant, je trouve, d’entendre des gens comme ça qui sont en pleine confiance sur ce qu’ils font et sont. Surtout quand ils ont du talent. Assumer son rôle, c’est de plus en plus rare.

 

 

Toi-même, lorsque tu joues, as-tu l’impression d’enfiler un costume ?

Clairement, oui. Oui, il y a un petit personnage, forcément. C’est déjà suffisamment impudique, la musique, la scène en particulier, et qui plus est quand tu as écris toi-même tes textes. Et de surcroît en français. Les textes en anglais permettent encore de poser un voile de pudeur sur ce que tu joues. Quiconque monte sur une scène devient un personnage. Mon code vestimentaire, c’est le noir et blanc. J’ai même poussé le vice à être ainsi à la ville. Cette dualité noir/blanc provient de divers contrastes ressentis dans la vie comme dans la musique : le mineur/le majeur, le grave/l’aigu… J’y pense de moins en moins, c’est mon quotidien. C’est une espèce de tatouage que je pourrais enlever chaque jour, mais je ne le fais pas. La musique est chez moi tellement présente que je ne me suis pas imposé de limites.

 

Remontons, si tu le veux bien, aux origines : comment es-tu venu à la musique ?

Eh bien malgré moi ! J’étais parti dans des études d’audiovisuel. Je pense même que, secrètement, j’étais monté à Paris pour faire le comédien : j’ai toujours aimé la scène. J’ai fait du théâtre au collège, au lycée, j’ai souvent participé à des spectacles quand j’étais jeune. J’ai donc tout de suite été en rapport avec la scène si bien que je comptais pas lâcher ça. J’ai commencé la guitare à 17 ans. Et les concerts à 21 ans si je me souviens bien. Mon premier concert avec le groupe Phanttom and the Ravendove, c’était en 2009. J’avais déjà fait quelques concerts en Normandie avec un groupe du lycée. On avait dû lui trouver un nom, mais je ne m’en souviens absolument pas ! À mes débuts, je n’ai pas directement pensé que je pouvais être musicien, je n’avais pas encore « assez de preuves », je n’avais pas encore assez composé, je n’avais pas encore assez de bagages pour ce chemin-là. Or, dès que tu commences à composer, tu commences à ressentir des choses de plus en plus fortes. Tu commences à te dire « Si je ressens ça, peut-être que je peux le partager. » Et tu deviens accroc à ça, à la création. Plus les années passent, plus tout te rappelle les débuts. La création est le meilleur journal intime qui soit, en fait : tu réécoutes un vieil enregistrement que tu as fait il y a dix ans sur ton téléphone par exemple… Je garde tout parce que je sais que ça peut vite venir et vite repartir. Quand j’ai débuté, il y a douze ans, j’ai pris l’habitude de tout enregistrer. Du coup, j’ai des archives monumentales ! 

 

Ça permet, en quelque sorte, de constater tout le chemin parcouru… Moi, par exemple, je garde précieusement une cassette audio où j’avais enregistré mes premiers poèmes sur un fond très kitsch de Richard Cleyderman !

Oui… Les premières créations, tout aussi brouillonnes qu’elles puissent être, contiennent quelque chose qui te canalise dans la direction que tu vas prendre après. C’est hyper important de revivre, réécouter les premières choses qui naissent de toi. C’est toujours un renseignement extraordinaire ! Pour revenir aux origines, donc, je dirais que tout s’est fait en trois ans en fait. Et, à un moment, quand tu regardes le temps que tu y as déjà passé et le temps que tu veux encore y passer, tu te dis que tu vas quand même faire quelque chose de tout ce temps consacré à la musique ! Bien que je m’étais engagé dans des études d’audiovisuel, je voulais plus que tout faire de la musique. Je me suis dit « comment je vais dire ça à mes parents ? » ! Ça a été ma première pensée ! Cependant, j’ai vite accepté car je ne me suis pas donné le choix, tu vois, et en commençant à m’habiller en noir et blanc, et en étant de plus en plus confortable dans la technique pour pouvoir composer de plus en plus rapidement. Pour tout le bonheur que ça m’apportait, toutes les sensations, j’ai eu envers moi-même le respect de me dire qu’il fallait que j’assume ma décision.

 

Y a-t-il des artistes qui ont compté pour toi ?

Lou Reed et le Velvet Underground ! Je n’aurais certainement pas fait de musique si je n’avais pas écouté le Velvet d’abord, puis Lou Reed. Apparemment je ne suis pas le seul ! Il y a une sorte de légende urbaine d’ailleurs : tous ceux qui ont écouté le Velvet dans les années 1970-75 auraient monté ensuite un groupe de rock devenu réputé. Pour moi le Velvet a été la porte ouvrant sur beaucoup d’autres choses, contemporaines ou plus anciennes, des choses que tu écoutes vraiment. Elvis, par exemple : quand tu écoutes vraiment, tu te rends compte que c’était fou de pureté. On a souvent tendance à connaître la réputation d’un artiste, son nom, sans avoir pris le temps d’une intimité avec son oeuvre. Quand on s’y plonge, justement, dans leur œuvre, c’est éclatant ! J’essaie tout le temps de me coltiner ces monuments de cette façon, en m’engouffrant dans leur écriture, leur musique, leur cinéma. Ce n’est pas pour rien qu’ils se sont fait un nom. Quand tu regardes un Chaplin, tu découvres quelque chose sur toi-même, idem pour des œuvres d’Oscar Wilde et tutti quanti. Dans un sens, ça t’éduque, ça te donne une précision sur qui tu es. Ce petit effort de te mettre à disposition de telle ou telle œuvre, quelle qu’elle soit, t’apparaît au final comme un moindre mal. Le jour où tu arrêtes d’être curieux, c’est la petite mort, tu t’empantoufles !

Peux-tu nous raconter ton premier concert ?

C’était au Palais Bar courant 2009, à Paris. J’avais décidé de porter un masque pour mon personnage – donc, Phanttom – si bien que la question pour moi était de savoir si j’allais assumer ce masque pendant une heure et quart. En fait, c’est passé comme une lettre à la poste. Le concert s’est bien passé. Le fait d’être dans du glam-rock m’a aidé à surpasser toute angoisse. J’ai ensuite enlevé ce masque pour le projet en français du groupe. Il appartenait à la langue anglophone, en quelque sorte… C’était un bon premier concert, d’autant que c’était une première pour la plupart d’entre nous.

 

Parle-nous de ton groupe, justement, PhanTTom.

À l’époque, dans ce qui s’appelait PhanTTom & the Ravendove, il y avait Charles Amblard à la basse, Victor Pageard à la guitare, Aurélien Vacher au violoncelle et Cab, à la batterie… On l’a jamais appelée autrement ! En 2015, c’est devenu Phanttom, avec Arnaud Affolter au clavier, Guillaume Marsault à la batterie, Joris Worrell à la basse et Victor Pageard à la guitare. Aujourd’hui, le projet en français comprend Pablo à la basse, Guillaume à la batterie et toujours moi-même. Avoir un groupe, c’est un rêve. Mais ça peut devenir un rêve pour rien, inaccessible, d’avoir un groupe de personnes qui savent jouer ensemble et qui s’entendent. À trois, c’est certain que tu prends moins de risques qu’à cinq.

 

Vous formez ici, là où tu vis, une communauté de musiciens, et d’autant de groupes différents, c’est assez incroyable !

Oui, c’est assez extraordinaire ! On habite les uns sur les autres. Je suis assez fier de ce petit melting-pot. On se prête du matos. Arnaud vient parfois enregistrer des violons, parfois j’emprunte des claviers à Jérémiah qui vient d’arriver en dessous… C’est assez génial ! Ça arrive souvent que, de manière informelle, on joue ensemble, sans s’enregistrer, juste pour le plaisir de jouer. C’est très rapidement agréable, étant donné le niveau de chacun.  On a tous été confrontés, par exemple, lors d’une soirée, au gars qui prend sa guitare et se met à jouer… Et tu ne sais jamais quand ça va s’arrêter ! Mais là, on est cinq musiciens, on a du matos, tout le monde joue très bien, donc dès que ça joue, ça devient vite très chouette.

 

Comment crées-tu un morceau ? D’où est-ce que ça part ? Tu crois à « l’inspiration » ?

Ça dépend de comment tu la conceptualises. Ça me parle parce que je pense à l’inspiration de la respiration.  Il y a donc quelque chose de l’ordre d’une réception : tu reçois quelque chose, tu te fais le médium de ce quelque chose. Ensuite, lorsque tu expires, tu abordes la création, tu rends ce que tu viens d’inspirer. Après, il n’y a pas de règles : une idée peut te venir alors que tu discutes avec des amis,  que ce soit des mots, de petites mélodies… C’est aussi une question de mise à disposition. Il faut prendre le temps de se mettre à la disposition de l’idée. Combien de fois tu te dis « Putain, là, si j’avais été tranquille chez moi, sur mon canapé avec ma guitare, j’aurais pu créer quelque chose que je ne connais pas encore. » Il peut ceci dit exister des contre-exemples. Par exemple, tu sors acheter je ne sais quoi à l’épicerie, il est minuit, et parce qu’il y a des voitures qui passent, fenêtres ouvertes avec les autoradios à fond, tu captes juste trois notes. Ce sont trois notes qui commencent à tourner dans la tête, toi-même tu te mets à créer quelque chose, tu remontes chez toi avec un début de quelque chose. Donc, tu as beau être sorti pour simplement t’acheter un truc, tu as néanmoins sûrement été plus productif que si tu étais resté sur ton canapé… L’inspiration est un animal sauvage. Pour ma part, je compose beaucoup en provoquant l’erreur sur mon manche de guitare, je fais une géométrie de doigts dessus et j’écoute ce qu’il en sort. Et souvent je vais là où je ne suis pas censé aller.

 

L’inspiration ne peut donc pas se passer de la technique ?

Le niveau technique, c’est bien pour aller plus vite. Mais parfois, quand tu es débutant, le manque de technique t’amène à trouver des choses que tu n’aurais pas pu trouver avec. C’est la fameuse chance du débutant au poker ! Parce qu’il n’a pas d’acquis, il sera très difficile à décrypter. Quand, au contraire, tu es un professionnel du poker, tu fais semblant d’être celui qui ne sait pas qu’il a un bon jeu ! (Rires)  Alors que, quand tu es débutant, tu ne sais même pas quand il faut faire semblant, tu es donc beaucoup moins lisible que les autres joueurs. En musique, le débutant a ainsi l’accident facile. C’est pour cela que les premières œuvres sont souvent les plus flamboyantes. Après, on prend de la bouteille, on « décline » en quelque sorte ces premières œuvres. Il n’est pas rare d’entendre des chanteurs ou des compositeurs déclarer qu’ils n’ont fait que décliner telle chanson plusieurs fois. Tu déclines, tu déclines autour de l’amour, par exemple…

 

Et créer à plusieurs, c’est autre chose ?

Carrément. Créer à plusieurs, c’est comme être en couple. Pour aller dans un seul sens, tu fais des concessions, chacun y met du sien. La création à plusieurs, c’est ça, je crois. Pour Phanttom, majoritairement, je compose et le texte et l’air. Les arrangements se font ensuite de manière collective.

 

Tes albums ?

Le premier album s’appelait We are candles (NDLA : cf liens en fin d’article). Il y a souvent un rapport à la bougie dans mes titres d’albums, parce qu’en fait j’ai été enfant de chœur et je regardais beaucoup les bougies ! (Rires) Pour le projet en français, on a un premier EP, en fait la moitié d’un album, intitulé Les Illuminés qui a été distribué d’abord dans un cercle restreint mais qui va sortir en même temps que la deuxième moitié, le deuxième EP donc, qui n’a pas encore de titre. Je donne rarement un nom tout de suite.

 

Quelle chanson ne te quitte pas ? Au sens double du terme…

La chanson qui ne me quitte pas… Je dirais que c’est Venus in furs du Velvet. (Il chante) « Shiny, shiny, shiny boots of leather / Whiplash girl in the dark… » Une chanson, au contraire, dont je voudrais bien me débarrasser, c’est Sapés comme jamais (de Maître Gims) ! Celle-là, gars, j’en peux plus ! Le pire, je vais te dire, est que je n’ai jamais entendu directement cette chanson, aucun contact entre nous, mais je l’ai tellement entendue chantée par d’autres… Ah mais lui, Maître Gims, comme dirait un pote, il met des douilles ! La population se fait douiller par Maître Gims ! C’est quand même affreux de ne pas pouvoir se dépatouiller d’une chanson que tu n’as jamais entendue, non ?

 

Venons-en à tes liens avec le théâtre.

Cette année j’ai ouvert ma création à d’autres univers que le mien, je me suis prêté au jeu de créer pour d’autres et j’y ai pris beaucoup de plaisir. Au théâtre, donc, je collabore notamment avec Julie Ménard et avec le collectif Traverse (dont fait partie cette dernière) notamment au Jeune Théâtre National, le 25 janvier dernier. Je trouve que pour revenir plus fraîchement à la chanson, c’est bien d’avoir été faire un tour du côté d’une autre façon de faire, d’un langage étranger. De la musique pour des vidéos Youtube ou pour des pièces de théâtre, c’est autre chose, ça enrichit, ça bouscule tes habitudes. Actuellement je travaille sur une création du collectif Lacavale, Jo et Léo, écrit par Julie Ménard, mis en scène par Chloé Simoneau, avec Lola Roskis-Gingembre et Lou Bohringer.

 

Dernière question : demain, tu fais quoi ?

Demain en journée, je répète ici avec Pablo. Demain soir, je dois voir les youtubers de Yes vous aime, pour qui je dois faire du son sur leur prochaine vidéo.

 

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Les liens très utiles :

Phanttom sur FB

https://soundcloud.com/phanttom-music

 Album anglais en écoute intégrale ici : https://phanttom.bandcamp.com 

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 Prochaine interviewée : Agathe Watremez, comédienne.


1. Maxime Mansion : "Du vivant !"

Paris, Pantin, le 19 avril 2016.

 

Maxime Mansion est acteur, metteur en scène et directeur avec Élisa Ruschke de la compagnie La Corde Rêve. Créateur du festival lyonnais En Acte(s) qui entamera en septembre sa troisième saison, il veille à promouvoir et à faire entendre les écritures de théâtre contemporaines. Celles-ci ont d’ailleurs trouvé un écrin dans la maison d’édition éponyme qu’il fonde pour l’occasion. Féru des mots et du plateau, Maxime Mansion répond à mes interrogations.

 

Ma première question est la suivante : comment es-tu venu au théâtre ?

À pieds !

 

Ah d’accord !

Non, moi je suis venu au théâtre avec mon père. J’habitais en Vendée, dans un petit village en campagne profonde, et il y a toujours des petites troupes amatrices. Il faisait partie de cette troupe amatrice-là qui s’appelait « Café Théâtre ». Il y a un bar, des petites tables, les gens mangent… L’association s’appelle « L’envers du décor ». Mon père a donc commencé là. Du coup j’ai toujours vu mon père jouer en patois de gros vaudevilles et tout ça. C’était marrant ! Moi j’ai donc voulu en faire un peu : il y avait un cours dans le village d’à côté, j’y suis allé et j’ai commencé… J’étais très jeune, j’étais en CM1. Après, dans mon collège de La Roche/Yon, j’ai participé à un atelier-théâtre qui ne m’a finalement pas plu. En 4ème, je savais que je voulais être comédien.

 

Ah oui, c’est très tôt pour savoir cela !

Je savais que j’allais aller au lycée Pierre Mendès-France pour faire une classe littéraire – même si je ne l’étais pas ! – donc pour faire du théâtre, que j’allais faire le conservatoire et que je serais comédien.  Je me souviens d’une anecdote : c’était en colonie de vacances et je faisais là-bas ma première mise en scène avec des copains. Et je n’ai pas été du tout content de la prestation… C’est drôle, j’avais déjà cette exigence-là… Pour rentrer dans une classe spécialisée théâtre, il fallait faire L ; or, avec ma dysorthographie et ma dyslexie, c’était compliqué : à chaque contrôle je partais avec moins quatre points directement ! C’est grâce au théâtre que j’ai commencé sérieusement à lire, en 1ère. J’ai compris que si je voulais faire du théâtre il ne fallait pas que je le cache – j’étais avec des gens qui teufaient pas mal et je sentais que je ne pouvais pas continuer à « être ça ». J’ai fait du théâtre et j’ai lu, lu, lu… Des bouquins entiers ! Ça c’était moi, quoi !

 

Était-ce pour toi, comme pour bon nombre de personnes qui commencent le théâtre, une pratique dite expiatoire, qui puisse soigner un quelconque malaise, etc. ?

Ah non non, j’adorais jouer ! Je savais que ça existait, qu’on pouvait en vivre, j’avais envie de ça en fait, je voulais faire du théâtre ! (Rires) La simplicité, quoi !

 

Est-ce que tu as souvenir du premier spectacle que tu as vu ? Moi, par exemple, c’était Les marchands de gloire, de Pagnol, avec le rôle principal Michel Galabru…

Moi, les premiers spectacles que j’ai vus, c’était au Café-Théâtre, c’était ceux de L’envers du décor, avec mon père. Le truc que j’ai vu et qui m’a marqué, c’est voir arriver là tout le village et partager ensemble un moment, pendant que mon père joue avec ses copains ; on boit des verres ; on mange… Pour moi c’est plutôt ça le premier souvenir. Aucun souvenir de pièce en particulier, mais ça !

 

C’est l’aspect collectif qui t’a animé à ce moment-là ?

Exactement. Le fait de se réunir. En revanche, je me souviens très bien du premier rôle que j’ai joué : c’était en CM1, j’étais l’avare dans la pièce éponyme de Molière. J’ai tout défoncé ! (Rires). Je jouais en l’occurrence ce monologue de l’avare où il dit «  Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier ! »[i] et tout ça… Je rentrais par le public, je passais dans la salle et je cherchais mon argent… Et à la fin – c’est un truc qui m’a fait du bien mais aussi du mal    la dame qui nous présentait a fait « …et donc voici Rodolphe, etc… et notre petite star Maxime Mansion ! » Et les autres n’ont pas compris pourquoi eux n’étaient pas également des stars, tu vois, si bien que moi j’étais très gêné et mes camarades m’en ont voulu.

 

Et maintenant, dans le milieu professionnel où tu travailles, c’est une chose qui demeure ? La concurrence, la jalousie entre comédiens et comédiennes…

Oui, certainement… C’est plus léger ceci dit, mais oui.

 

Quelles rencontres ont fait le comédien que tu es à l’heure actuelle ?

C’est la réunion des gens qui permet ça, je le redis, c’est fondateur. Alors, jusque là, l’empreinte la plus forte que j’ai eue, c’est celle de Christian Schiaretti (NDLA : directeur du Théâtre national populaire). Une fois, on commençait à lire Claudel. Je lis à voix haute – je ne sais même pas ce que c’est que la poésie à ce moment – je lis puis il m’arrête et me dis : « Ah ben toi, t’es dans la merde ! » (Rires) À partir de cet instant, ça a été super, parce que ça m’a décomplexé, j’ai commencé à accepter mon ignorance. Christian a un rapport fort à la langue, et conséquemment à sa transmission, très précise et extrêmement ludique aussi. J’apprenais en jouant, en faisant ! Ce mec-là m’a ouvert une porte qui donnait sur un champ immense, c’était incroyable. Le texte devenait une matière à jouer. « L’un l’autre ils s’accusaient de cette vi-olence… »[ii], il y a quelque chose à jouer sur « violence », plus que de simplement s’en tenir à la règle de la diérèse… Le corps fait vivre le mot…

Je pense aussi à Robin Renucci (NDLA : directeur des Tréteaux de France). Avec lui, j’ai appris plusieurs choses : d’abord la conscience d’être un artisan, au sens où ce métier me ramène à mes racines – après tout, on travaille le mot, on entretient des outils, on cisèle, on sculpte – et la prosodie. Oui, je me définirais peut-être comme ça, un artisan de la langue…

 

L’écrivain britannique D. H. Lawrence a écrit dans Le serpent à plumes (1926) : « L’homme est un fleuve de sang qui parle. » Tu es un peu ça ?

Oui. Oui, c’est beau, oui. Il y a sûrement quelque chose de très vivant dans ça, ma pratique. Du vivant ! Et le vivant, ça ramène à vivre ensemble : c’est ce que j’ai perçu jeune, et plus encore au TNP ou aux Tréteaux de France où l’accent est mis sur « aller chercher les gens », aller jouer chez eux. Populaire, pour moi c’est ça ; c’est  ne pas prendre les gens pour des cons, faire du théâtre élitiste pour tous. Tu vois, très souvent, dans certains théâtres, pour certaines programmations, on te dit que ton texte, ta pièce sera « trop compliqué pour mon public »… Comment peux-tu dire ça ? Parce que tout ce que ça dit, c’est que tel public est un public d’abrutis, en fait… Alors donc on préfèrera programmer un Shakespeare, et voilà ! Pas de danger !... Ces gens-là font de la programmation télé en fait, dans un pur esprit de consommation.

 

« Le temps de cerveau disponible », comme le disait un certain PDG de TF1…

Eh oui ! C’est aberrant… Je ne sais pas où se sont formés ces gens-là, ce sont juste des chefs d’entreprise. Certes, quand on dirige un théâtre ou une compagnie, on n’est pas loin d’être un chef d’entreprise, il y a des gens qui dépendent de toi, mais ça doit être au service d’une poétique. Tu te rends compte, on en arrive à des programmations qui mettent encore à distance les humains les uns des autres !  Sur notre festival En Acte(s), par exemple, j’avais prévenu ma famille qui venait voir les spectacles, « C’est du théâtre contemporain, des auteurs vivants, etc. » ; eux, ils ont assisté à ça, ils ont surkiffé, ils étaient impressionnés, disaient qu’en si peu de temps, faire ça… Nous, on est dans le partage… Les gens recherchent le danger, veulent se laisser surprendre, je crois.

 

Justement, le festival En Acte(s) dont tu es, avec ta compagnie de La Corde Rêve, le créateur, entamera en septembre prochain sa troisième saison, après une première lyonnaise et une deuxième à cheval sur Lyon et Paris (Théâtre de l’Opprimé – février 2016). En Acte(s), c’est quoi ? Et comment cela va-t-il évoluer ?

En Acte(s), c’est à la fois ce festival, oui, et aussi une maison d’édition. C’était jusqu’à présent un rendez-vous par mois, tous les derniers lundis du mois pour la première saison, et les avant-derniers lundis de chaque mois pour la deuxième. Et ce d’octobre à juin, mis à part février. L’auteur a cinq semaines pour écrire un format court (environ 1h) sur un sujet d’actualité. L’équipe a ensuite trois semaines d’apprentissage du texte puis une semaine de répétition. Au plateau, pas de scénographie, juste le comédien. C’est réunir des gens sur un projet qui m’a d’emblée séduit et bougé, ça j’adore ! Je suis très admiratif des gens qui écrivent, et donner de la visibilité à ces gens-là, je trouve ça chouette. Moi qui n’ai jamais aimé lire, enfin pendant un bout de temps, et qui ai eu ces problèmes de dysorthographie, etc., c’est un beau pied de nez, non ?

En 2017, on sera sur deux semaines de représentations, avec dix créations : les huit dites « tout public » se joueront aux Théâtre de l’Élysée (Lyon) et deux « Jeune public » au Théâtre des Clochards Célestes (id.).

 

Bruno Tackels, dans un article intitulé « Les écrivains de plateau en quelques mots »[iii] a écrit la chose suivante : « En sacralisant le texte, on arrête quelque chose de la vie des œuvres. Le texte devrait être un point d’appui, et non pas un objectif à respecter de manière sacralisée. » Tu es d’accord avec ça ?

C’est toujours un peu discutable ça. Je pense que les œuvres qui durent dans le temps sont les œuvres écrites. À mon sens, le texte dramatique est toutefois un matériau. C’est devenu un genre littéraire, en fait, ce qui a généré chez certains une prise de distance malheureuse avec le plateau. La poésie est certes essentielle, bien sûr, mais elle est à manier avec beaucoup de ludicité. La poésie devient poésie quand elle réussit à combiner la langue de l’écrit avec la langue du plateau. Quand Molière écrivait, il écrivait du rythme, sans se départir de la mise en scène et du plateau. Aujourd’hui, je trouve qu’on veut trop produire des œuvres littéraires mais pas assez de théâtre si bien qu’on n’a pas encore de grandes œuvres. C’est mon point de vue. Je pense qu’il faut d’abord vouloir faire du théâtre avant de vouloir faire des œuvres littéraires.

 

Qui incarne aujourd’hui, pour toi, cette heureuse combinaison entre écriture du théâtre et plateau ?

Joël Pommerat. C’est évident.

 

Toujours par rapport aux écritures de plateau et, plus largement, à une création quasi exclusivement réalisée au plateau, est-ce que les mots de metteur en scène ont du sens ?

Ça n’a pas de sens pour moi. Le terme de régisseur, employé par Vilar, est assez idéal. En tout cas, moi je me sens plus régisseur que metteur en scène. Enfin bon, c’est simplement un mot, on pourrait s’amuser à en chercher d’autres. Toujours est-il que le metteur en scène/régisseur organise les choses, il rassemble. Alors effectivement, il est aussi nécessaire que le « chef de projet » sache trancher, choisir, orienter. Il veille à la cohérence et se met au service du plateau, comme tout le monde.

 

Intermittence et Nuit Debout, même combat ?

Écoute, moi j’adhère à ce mouvement, je trouve ça très bien qu’on aille exprimer son ras-le-bol. C’est tant mieux que les gens s’unissent et conversent. Ceux qui taxent Nuit Debout de rassemblement de bobos ne disent rien. Ce terme-là est galvaudé, il veut dire tout et n’importe quoi. Certains ont une fâcheuse tendance à catégoriser, à enfermer dans des cases. Penser des alternatives devient dangereux, que veux-tu. J’en viens à l’intermittence : je ne sais pas comment on va faire. Si on augmente la cotisation horaire qui est déjà très difficile (507h en 10mois ½), je pense qu’on perdra des intermittents. Il y aura dans les chiffres moins de chômage parce que certains n’y auront tout simplement pas accès. Il nous faudra encore plus cachetonner, sans regarder à ce qu’on nous demande.

 

Parle-nous de ton actualité.

Je travaille sur Berbéris (texte de Karin Serres, m/s Élisa Ruschke, avec Élisa Ruschke et Pauline Coffre), où je suis à la scénographie et à la co-mise en scène. C’est un spectacle de la Cie La Corde Rêve, que je co-dirige avec Élisa Ruschke. En outre, je tourne en ce monde avec un spectacle des Tréteaux de France, L’école des femmes. Je continue à gérer le festival En Acte(s). Je vais travailler avec cinq auteurs sur une commande de l’Interquartiers de Villeurbanne. Le projet s’appelle Lieux secrets et ça jouera en mars 2017. Je vais jouer Figaro dans Figaro divorce, de Ödön von Horvath, mis en scène par Sylvain Delcourt (Cie Lalalachamade).

 

La dernière fois que tu as été voir du théâtre ?

Ben hier, pour En Acte(s) ! C’était L’ennemi intérieur, de Marilyn Mattéi, mis en scène par Colin Rey. Le livre sera disponible fin mai, à l’occasion de la représentation du prochain texte, celui qu’est en train d’écrire Julie Ménard (Collectif Traverse, entre autres).

 

Une citation/une réplique/une phrase lue, entendue ?

« La vie est simple, ce sont les gens qui la compliquent. » Ça c’est de mon père !

 

Dernière question : tu fais quoi demain ?

Demain, je finis le circuit électrique de mon appartement. Je dois aussi déterminer s’il y a oui ou non des termites. Il faut que je traite. Il faut que je trouve un auteur pour juin. Un dossier à remplir. Et sortir pour prendre le soleil car il paraît qu’on va avoir de la pluie. Et ce soir je vais aller au cinéma voir Demain (NDLA : réal. Cyril Dion/Mélanie Laurent  2015). Je te conseille d’ailleurs de regarder un petit documentaire qui s’appelle En quête de sens (NDLA : réal. Nathanaël Coste/Marc de la Ménardière – 2015). Ça il faut le regarder, ça fait du bien !

 

 

 

 

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Prochain interviewé : Romain Tiriakian du groupe Phanttom       

 

 

 


[i] L’Avare, Molière, 1668, IV, 7

[ii] L’école des femmes, id., 1662 V, 2

[iii] in La littérature théâtrale (entre le livre et la scène), dir. Matthieu Mével, éd. L’Entretemps, coll. Matériau, 2013